PHILOSOPHIE CHINOISE

La Blessure de l’Enfance

On entend parfois parler de la blessure de l’enfance, mais on ne sait pas toujours ce que c’est exactement. En voici une explication tirée de la philosophie chinoise.

Notre partie profonde, réellement profonde, le noyau de la personnalité (He Xin), est le coeur de ce que nous sommes. Cette partie profonde de nous est immuable et ne peut jamais être blessée. Quand cette partie est incarnée, elle donne le Wu Yi Shi, c’est-à-dire un être profond incarné.

Comment différencier notre partie profonde de notre partie superficielle ? La différenciation est assez simple à faire : tout ce qui peut être changé en nous est notre partie superficielle, et tout ce qui est immuable en nous est notre partie profonde.

Nous sommes donc constitués de deux parties distinctes, l’une superficielle, l’autre profonde. Ces deux parties doivent apprendre à communiquer et à s’équilibrer entre-elles.

Notre vie terrestre est beaucoup régie par la partie superficielle, car c’est elle qui permet de nous adapter à cette vie. Mais si la partie superficielle prend trop de place, on finit par oublier notre partie profonde; la communication entre le superficiel et le profond ne se font alors pratiquement plus, et dans ce cas, nous ne parvenons plus à prendre conscience de qui nous sommes réellement. C’est pour cela qu’il est important qu’il y ait un dialogue entre ces deux parties.

On peut observer sept étapes qui permettent de mieux comprendre les interactions de ces deux parties :

1) L’incarnation

L’être profond (Wu Shi) s’incarne. Il devient un être dans la matière, et dans cette phase, il “est”, sans plus. Il est heureux d’être. Cela est naturel ainsi. Il ressent ce noyau immuable qu’il est. Cet instant est bref et peut durer d’une seconde à la conception jusqu’à quelques mois après la naissance. L’être est alors Wu Yi Shi, c’est-à-dire un être profond incarné.

2) L’enfant

Dans cette phase, la première ébauche de conscience se développe. C’est l’apparition de l’enfant. Il regarde ce qui se passe autour de lui, il prend les expériences de la vie comme elles viennent et il s’enrichit des expériences qui sont positives, car il est encore dans le Wu Yi Shi (un être profond incarné). Il est émerveillé naturellement sans faire d’efforts. Cette période dure de quelques secondes à quelques années. L’enfant est dans le présent. Ici, il y a une interaction entre le corps (l’être superficiel) et le Wu Shi (l’être profond), mais il n’y a pas encore de vraie notion de conscience. Tout est naturel. L’enfant a la conscience de l’acte et du plaisir. Il se fait plaisir à faire les choses, mais il n’est pas conscient qu’il est un être profond. Il répond tout naturellement à ses besoins intérieurs, a un égoïsme naturel, car il manque de conscience. Il ne perçoit pas qu’il est séparé des autres. Le monde, c’est lui, et les parents sont à son service.

Il va falloir plusieurs années avant qu’il puisse prendre conscience qu’il est un être séparé de l’être profond, pour finalement à nouveau prendre conscience que l’être séparé et l’être profond ne font qu’un (ce qui équivaut à la prise de conscience de l’être divin qu’il est). Amusant ce paradoxe, n’est-ce pas ?

Ici, selon les personnes, cela peut durer jusqu’à l’âge de sept à huit ans.

3) La blessure de l’enfant

Le bonheur de l’enfant ne dure malheureusement pas, et il va finir par être blessé, inévitablement. La blessure pourra avoir lieu n’importe quand. L’enfant va être blessé par les autres, c’est ainsi qu’il le percevra. Les autres sont principalement les parents.

De quelle nature sera-t-elle donc, cette blessure ?

La blessure sera de l’ordre de l’amour.

Cette blessure apparaîtra à cause du décalage entre l’enfant et la réalité terrestre dans laquelle les personne qui entourent l’enfant vivent, ces dernières ayant aussi d’autres obligations que de s’occuper que de l’enfant. La blessure ne sera donc pas due à cause de parents méchants ou d’une peur que la maman aurait pu vivre lors de la grossesse etc.

S’il y a cette blessure d’amour, c’est pour que l’enfant puisse mieux comprendre et prendre conscience de ce qu’il est et de comment il fonctionne. Cette blessure va le stimuler à trouver des stratégies plus ou moins bonnes qui lui permettront de comprendre comment il fonctionne, les responsabilités qu’il a et ce qu’il est réellement.

Toutes les blessures qu’un être humain peut rencontrer dans une vie (on parle ici de blessures intérieures de l’ordre du psychisme) sont à la base une blessure d’amour. Analysez, vous verrez !

Alors, et ceci est un scoop, pour traiter les blessures rencontrées dans le parcours d’une vie, il n’est pas nécessaire de les traiter toutes une à une, mais il suffit de remonter à l’origine d’elles, où l’on trouvera, devinez quoi ? Une blessure d’amour. Du coup, il suffit de traiter la blessure d’amour pour traiter toutes les blessures vécues. Simple, n’est-ce pas ? Je sais, en théorie c’est simple, mais en réalité c’est un peu plus laborieux. Mais laborieux ne veut pas dire impossible ! Vous trouverez vers la fin de cet article un descriptif de ce qui peut être fait pour y parvenir.

Les blessures créent des souffrances intérieures et vont générer de la peur. Peur de quoi ? Peur que cela se reproduise. L’enfant blessé va donc commencer à avoir peur que cela se reproduise. On peut donc dire que la peur est la conséquence de la blessure, et, chose curieuse, elle génère le temps. Pourquoi ? Parce que celui qui a peur n’est en principe plus dans le présent. Lorsqu’on est dans le présent, on n’a plus la notion du temps, car on vit l’ici et le maintenant, on “est”, et lorsqu’on “est”, la notion du temps qui s’écoule n’existe plus. Si vous faites l’analyse, vous constaterez que la peur n’est que très rarement justifiée au présent, et qu’elle apparaît plutôt lorsque l’on fait des projections dans le futur, ou alors elle est lié à des souvenirs du passé. On a en principe peur de ce qui pourrait nous arriver, suite à quelque chose qu’on a lu ou entendu, ou à une situation vécue, mais dans le présent, nous ne sommes que très rarement confrontés à un danger réel qui nous fait peur.

La peur va générer de nouveaux comportements de l’enfant. Avec les expériences et les peurs, l’enfant se projettera dans l’avenir pour ne pas être malheureux, l’avenir donnant de l’espoir. Par contre, s’il restait dans le présent, le fameux instant présent, il n’aurait plus peur. On peut donc, par déduction logique, dire : être dans le présent, c’est “ne pas avoir peur”. Il n’y a ici qu’une seule exception : celle où votre vie serait réellement en danger au moment présent. Ceci est heureusement plutôt rare.

Le passé est une référence pour l’enfant. Il se rappellera soit d’un moment où il était heureux, soit d’un moment où il était malheureux. S’il vivait dans le présent, il pourrait se défaire de tous les schémas psychologiques du passé qui le perturbent et qui l’influencent. Il pourrait alors enfin apprécier le présent. Ceci est vrai pour nous aussi !

La blessure va créer la dualité. Dans une partie il y aura l’enfant heureux, dans l’autre partie il y aura l’enfant blessé. Dans le courant de l’existence de l’enfant, un dialogue entre ces deux parties s’instaurera.

Il peut arriver que l’enfant blessé endosse la responsabilité de sa blessure. Cela engendrera alors de la culpabilité ou de la dépréciation de soi.

Vers l’âge de sept à huit ans, une bonne partie la personnalité de l’enfant sera construite sur les différentes blessures de l’enfance vécues. Tout le conditionnement se fait donc avant l’âge de sept à huit ans ! L’enfant construira alors des schémas comportementaux variables et divers pour être mieux aimé. Ces schémas comportementaux vont créer “les masques”.

4) Les masques

Pour éviter d’être blessés à nouveau, petit à petit, l’enfant va créer un masque. C’est une sorte de bouclier qui va se construire autour de sa nature profonde non pas pour se protéger des autres, mais plutôt pour se conformer aux autres. Comme l’extérieur de lui est différent de son intérieur, et il le ressent, mais ne sait pas comment le gérer, alors, à travers ce masque, l’enfant va pouvoir essayer de se conformer aux comportements des autres pour se conformer aux autres. Un exemple peut être le fait qu’un enfant va être méchant pour qu’on s’occupe de lui, pour se faire remarquer, alors que fondamentalement, dans sa partie profonde, il n’est pas méchant.

La tendance sera donc d’attirer le regard de l’autre. À partir de ce moment, l’enfant change. On dit alors qu’il “devient adulte”, ou bien qu’il a “l’âge de la raison”. En même temps que le masque va se construire, l’enfant va perdre l’imagination, la créativité, la foi, la naïveté, la curiosité, le sourire, la joie de vivre, l’enthousiasme, la perception du subtil etc. En bref, il va perdre tout une partie de sa personnalité profonde.

Le masque fera qu’un enfant va pouvoir vivre et s’adapter dans le monde des apparences, de l’illusion et de la tristesse. Mais la blessure va aussi développer le mental ! L’enfant va commencer à penser, à se poser des questions, d’où l’âge de raison.

Le monde des adultes est en principe un monde triste. Le masque est un bouclier de “protection” pour l’enfant qui lui permettra de s’adapter au monde autour de lui. L’adulte commence à faire confiance à l’enfant, mais par là l’adulte va renforcer en même temps le masque de l’enfant, car ce dernier doit se conformer aux règles terrestres et aux attentes qu’on a de lui, qui ne correspondant pas forcément aux attentes qu’il a lui-même. Un peu plus tard, l’enfant se prendra au jeu et jouera aussi à l’adulte, et par là, il jouera un rôle. Il ne sera donc plus lui-même, mais sera lui-même en conformité de l’éducation de sa famille et de la société.

Il passera toute sa vie à trouver des stratégies pour panser sa blessure primaire : la fameuse blessure de l’enfance, qui est finalement une blessure d’amour.

L’enfant a horreur de l’indifférence. Il cherche l’attention et l’amour des parents. Donc, tous les choix qu’il fera seront faits pour être aimé, pour panser sa blessure originaire de manque d’amour ! Avec les plans que l’enfant aura mis en place, il prendra des plis, il se rendra compte que ce ne sera pas toujours en accord avec lui-même, qu’il est souvent en contradiction avec le Wu Shi, qu’il a même un grand décalage avec le Wu Shi, et il peut finir par tomber malade à cause de ce déséquilibre.

L’enfant va abandonner ce qu’il est au profit de ce qu’il croit être. C’est l’âge où on dit qu’il devient adulte. Il est à fond dans la dualité entre la profondeur et la superficie, l’esprit et la matière, l’amour de soi et l’amour de l’autre etc. Ce conflit lui ouvre la porte de la connaissance de lui-même.

La “double personnalité” génère le manque de confiance en soi, le manque de confiance en l’autre, ce qui génère hélas aussi un mal-être permanent, amplifié lors de périodes dépressives, ou lors de l’adolescence, ou lorsqu’on a de la tristesse. On croit que la solution est dans l’autre, que c’est à travers l’autre qu’on peut se soigner. Mais en réalité, nous sommes blessés parce que nous sommes incarnés. Plus on sera spirituel, moins on aura besoin de l’autre, car on aura compris qu’on fait partie d’un tout, et qu’on forme tous “Un”.

5) La Fissure

C’est la fissure du masque. L’enfant est blessé, il met alors en place des stratégies pour être aimé, mais cela ne marche pas toujours. Alors apparaît une nouvelle blessure, et c’est après l’âge de sept à huit ans que la blessure va provoquer la fissure du masque. Il constate alors que malgré les stratégies mises en place il souffre toujours. Il se retrouve blessé à nouveau malgré ses plans, et il continue d’aller d’échec en échec. Il finit donc par avoir une double blessure : le manque d’amour et les échecs. Ceci arrive entre 25 et 40 ans, mais cela peut varier selon le cas.

L’individu est alors découragé. Il est sous l’effet Caliméro où il trouve que “c’est trop injuste”. Ce mal-être va fissurer le masque et laisser paraître le noyau central (Wu Shi). Des maladies à ce stade peuvent apparaître et vont justement servir d’enseignement. La personne sera de moins en moins dans un masque et va quitter progressivement les stratégies apprises auparavant pour être aimé.

Avec le temps, il constatera que les relations humaines sont un échec, et il se rendra compte que malgré les stratégies mises en place, finalement, ce ne sera pas l’autre qui le rendra heureux. L’amour est vécu alors comme un échec. Il va se rendre compte que la présence de l’autre déçoit toujours. Mais pourquoi donc est-ce ainsi ? Tout simplement parce que nous devons nous rendre compte que c’est nous qui devons régler notre problème de la blessure d’enfance, pas l’autre, ni les autres.

Briser le masque n’est certes pas facile, mais c’est une chance pour retrouver le noyau profond. La souffrance est donc finalement une “non prise en compte de l’enfant et de l’adulte” qui est en nous, une prise en compte non équilibrée de notre intérieur et de notre extérieur ! Voilà qui donne matière à réflexion.

6) La Guérison

La solution pour la guérison devient évidente ! Il faut guérir l’enfant et l’adulte en nous.

On a créé un masque, qui est la séparation et la blessure, mais nous seuls sommes capables de réparer cela pour se soigner.

On doit s’aimer soi-même !

S’aimer, c’est que mon adulte vient soigner mon enfant heureux, et mon enfant heureux vient soigner mon adulte malheureux. Il faut un échange équilibré entre les deux, et une entraide mutuelle devient possible. Comme c’est nous qui avons fait la séparation, ce n’est que nous qui pouvons guérir la souffrance. Cela peut prendre plusieurs années.

Il faut déterminer si c’est l’enfant qui est blessé (on ne ressent plus la joie en nous dans ce cas) ou si c’est l’adulte (l’Ego, les émotions etc). Comme nous avons toujours une partie en nous qui est bien, nous pouvons trouver des ressources en nous pour nous soigner, mais il faut aimer l’enfant intérieur qui est en nous. Nous avons en effet une responsabilité et un pouvoir énorme. Je suis heureux tout seul, et je peux être heureux tout seul. Dans ce cas, on n’est plus dans l’attente. Dans la philosophie chinoise il est dit qu’il ne faut pas avoir d’attentes, mais on peut avoir des projets, sans ne rien attendre derrière bien sûr.

La guérison se fait en principe en plusieurs étapes :

- écouter l’enfant intérieur pour percevoir ses souffrances (ce n’est pas l’acte qui crée la souffrance qui est important, mais plutôt le type de blessure ou de souffrance que cela engendre)

- se consoler, s’aimer, s’expliquer ce que l’enfant doit être

- écouter les blessures de l’adulte

- faire comprendre à l’adulte que les blessures sont normales parce qu’elles proviennent de faux schémas induits par l’enfant blessé

- consoler l’adulte par l’enthousiasme, l’émerveillement, la foi, la confiance, le sourire et la magie de l’enfance

Dans ce cas, nous devenons notre propre médecin, indépendamment de l’amour des autres, et nous pouvons enfin commencer à aimer les autres, car nous nous aimons enfin nous-mêmes. Ce processus de guérison peut durer toute une vie.

7) Élargissement de la conscience

Quand nous aurons guéri nos propres blessures (les blessures d’enfance), alors l’adulte n’en aura plus non plus. Il y aura alors la disparition des masques, puisque l’individu n’en aura plus besoin. Et lorsqu’il n’aura plus de masques, alors le Wu Shi peut rayonner. Il n’y aura plus que l’être profond intérieur.

On doit apprendre à s’aimer soi-même !

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